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Vigée-Lebrun (1755-1842)

L'Italie, la Sicilie ,l'Ile d'Elbe, les Iles Eoliennes, la Sardaigne, etc.
Paris, Audot Fils, 1834-1837


Souvenirs, Paris 1835-37

Maintenant je vais vous parler de mon spectacle favori, du Vésuve. Pour peu je me ferai Vésuvienne, tant j'aime ce superbe volcan; je crois qu'il m'aime aussi, car il m'a fêtée et reçue de la manière la plus grandiose. Que deviennent les plus beaux feux d'artifices, sans en excepter la girande du château Saint-Ange, quand on songe au Vésuve?
La première fois que j'y suis montée, nous fûmes pris, mes compa­gnons et moi, par un orage affreux, une pluie qui ressemblait au déluge. Nous étions trempés, mais nous n'en cheminions pas moins sur une hauteur pour voir une des grandes laves qui coulaient à nos pieds. Je croyais toucher aux avenues de l'enfer. Un brasier qui me suffoquait serpentait sous mes yeux; il avait trois milles de circonférence. Le mau­vais temps nous empêchant d'aller plus loin ce jour-là, outre que la fumée et la pluie de cendres qui nous couvrait rendaient le sommet du mont invisible, nous montons sur nos mulets et descendons dans les laves noires. Deux tonnerres, celui du ciel et celui du mont, se mêlaient; le bruit était infernal, d'autant plus qu'il se répétait dans les cavités des montagnes environnantes. Comme nous étions précisément sous la nuée, je tremblais, et toute notre cavalcade tremblait comme moi, que le mouvement de notre marche n'attirât sur nous la foudre. (...)
J'arrivai chez moi dans un état qui faisait pitié: ma robe n'était que cendre détrempée; j'étais morte de fatigue; je me sèche et me couche fort heureusement.
Bien loin d'être dégoûtée par ce début, quelques jours après je retourne à mon cher volcan... Il faisait le plus beau temps du monde. Avant la nuit nous étions sur la montagne pour voir les anciennes laves et le coucher du soleil dans la mer. Le volcan était plus furieux que jamais, et comme au jour on ne distingue point de feu, on ne voit sor­tir du cratère, avec des nuées de cendres et de laves, qu'une énorme fumée blanchâtre, argentée, que le soleil éclaire d'une manière admi­rable. J'ai peint cet effet, car il est divin.
Nous montâmes chez l'ermite. Le soleil se couchait, et je vis ses rayons se perdre sous le cap Misène, Ischia et Procida; quelle vue! Enfin la nuit vint, et la fumée se transforma en flammes, les plus belles que j'aie jamais vues de ma vie. Des gerbes de feu s'élançaient du cratère, et se succédaient rapidement, jetant de tout côté des pierres embrasées qui tombaient avec fracas. En même temps descendait une cascade de feu qui parcourait l'espace de quatre à cinq milles. Une autre bouche du cratère placée plus bas était aussi enflammée; celle-ci produisait une fumée rouge et dorée, qui complétait le spectacle d'une manière effrayante et sublime. La foudre, qui partait du centre de la montagne, faisait retentir tous les environs, au point que la terre tremblait sous nos pas. J'étais bien un peu effrayée... J'avais tant à admirer que ce besoin l'emportait sur mon effroi. Imaginez que nous planions alors sur une immensité de brasiers, sur des champs entiers que ces laves, dans leur course, mettaient en feu. Je voyais ces terribles laves brûler les arbris­seaux, les arbres, les vignes; je voyais la flamme s'allumer et s'étein­dre, et j'entendais le bruit des broussailles voisines qu'elles consumaient.
Cette grande scène de destruction a quelque chose de pénible et d'imposant, qui remue fortement l'âme; je ne pouvais plus parler en revenant à Naples; dans le chemin, je ne cessais de retourner la tête pour voir encore ces gerbes et cette rivière de feu. C'est donc à regret que j'ai quitté ce spectacle grandiose; mais j'en jouis par le souvenir, et tous les jours je me représente encore ses différents effets.